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e jour se lève
sur
la République et Nadège s'endort. Le lit est chaud mais elle est seule.
C'est
lundi, le jour de NUITS BLANCHES. Dans la page glacée – elle y quête un
parti – s'offrent à sa rêverie mièvre les lieus et les personnes qui
entourent sa prochaine bagatelle.
Le réveil est mort assassiné depuis que son cri l'a réveillée un matin qu'elle a oublié. Le téléphone portable gît au fond du sac. Le sac est posé dans la petite entrée éclairée par le vasistas au-dessus de la porte. Le téléphone fixe repose depuis longtemps sur un rayon d'accessoires kitsch.
Les quelques mammifères visitant l'appartement, si ce n'est madame Plinfut la concierge de ce petit immeuble parisien, Nadège et ses partenaires sexuels, sont le chien de madame Plinfut, un roquet hors-d'âge qui reste le plus souvent dans le hall ou l'escalier à ronchonner, et une chatte, vénérable aussi, qui mate depuis toujours ce cabot et passe ses nuits et ses jours de sommeil dans la gouttière d'en face. Ne venant visiter la kitchenette que languissamment, elle ne s'installe que quand Nadège est seule à sa place royale s'il en est, près du poële à bois, unique concession de Nadège au travail. Travail abrutissant qui comprend essentiellement la retaille des bûches prévues pour une cheminée de maison de maître, le chargement puis le déchargement du coffre de taxi Mercedes gris réformé que son père a retapé, et l'alimentation de l'âtre.
Ce matin malgré le froid extérieur, le poële est éteint. De ce studio sans tic-tac retentit une sonnerie. Le sommeil de Nadège s'abrège. Elle étend son bras dans le lit. L'absent n'aurait sans doute pas été conforme au modèle voulu par son entourage familial à savoir ses père et mère dont elle était fille unique, un étalon plus strict – fougueux espère Nadège. La porte ouverte la gênait plus.
Elle se lève et chemine vers la voûte du coin-lit tandis que la sonnerie fait place à des coups clairs sur la porte. Celle qui est ouverte. Il faut s'y rendre, la fermer. Le visiteur sera peut-être surpris par sa nudité.
Un pas vers la kitchenette pour brancher la machine à café, préparée la veille, et la radio l'approche de la porte qu'elle claque.
Le judas lui offre un portrait en effet ½il de poisson de madame Plinfut dans tous ses états, le journal à la main. Nadège ouvre la porte en grand, prise de regret l'entrouvre passe une tête et un cou et demande à sa cerbère l'objet de son agitation.
Madame Plinfut avale une grande goulée d'air, précipite son débit de parole à expliquer qu'elle comptait lui porter son journal comme d'habitude à onze heures, heure à laquelle Nadège l'employait pour faire le ménage une fois par semaine, le lundi, son jour de repos, elle achète le journal plus tôt pour y lire les offres d'emploi. En le feuilletant elle est tombée sur une bien triste nouvelle. Elle soupire reprend son souffle et lâche :
— Monsieur Lacouture est mort !
Nadège ne connaît pas de Lacouture.
Elle rouvre la porte. Madame Plinfut s'exclamerait qu'elle est nue. Nadège se drape de son manteau et madame Plinfut surgit. La force de l'habitude conduit la concierge en deux pas à la cuisine où le café commence à s'écouler sur le plan de travail. Nadège enfile le manteau et l'atteint.
— Laissez. Il n'est pas onze heures.
Nadège arrête la machine tandis que madame Plinfut a déjà fini d'essuyer le café.
— Vous avez oublié de mettre le pot.
— C'est ça. Je voulais vous en offrir un.
— J'ai déjà bu mon café depuis longtemps ! et j'en ai bu un autre
au
Grand-Bi.
Le Grand-Bi est le bar qui montre son comptoir au rez-de-chaussée de l'immeuble. Il ne doit pas son nom, comme les amies de madame Plinfut et autres commères de la rue le susurrent à la stature et aux goûts éclectiques du patron mais à la série-culte «le prisonnier». Plutôt que d'entendre les explications embrouillées de la concierge à propos de ce Lacouture, Nadège décide d'y aller prendre un café noir et y lire l'article dont madame Plinfut lui cause. Elle lui laissait le studio pour le ménage.
Un stage dans la salle de bain pour effacer l'empreinte de la nuit grise. Nadège n'aime pas le froid qui l'oblige à couvrir son corps et à masquer ses formes. Un compromis s'impose entre la lutte contre les éléments et la chasse. Un fourreau palliera l'absence de partie nue de son corps. Des collants et des bottes. Le visage paré de ses peintures de guerre. Mascara et rouge. Prête à affronter la rue, son manteau sur sa robe à présent, Nadège sort. Elle a le temps de s'occuper d'elle. Elle peut ne pas travailler.
Nadège offre sa demi-heure de midinette à la rue, à l'autobus, aux voitures, au passant, aux clients du grand-bi. Les vraies grisettes viendront plus tard. La terrasse est modeste mais c'est une terrasse. Elle décide d'occuper la table à gauche de l'entrée. Le journal à la main, elle s'y installe, croise les jambes et attend. Le froid l'incite à commander un rhum. Nadège boit peu, maîtrise l'alcool et ne conduit pas. Le rhum ira dans le café.
Elle ne veut pas lire la une. Elle ouvre le journal à la page de NUITS BLANCHES. Elle y retrouve son rythme de fêtarde sans souci. Les soirées parisiennes. Bruxelles l'attire comme plus au sud Barcelone tisse sa toile. Pour l'intéresser, ailleurs doit procurer tout ce qu'on trouve ici. Feuilletant le journal à l'arabe elle passe vite les pages emplois, n'étant pas amatrice.
L'article qui l'intéresse est en page 5 sur trois colonnes.
— L'imprimerie a été incendiée. Le feu. Son ami et son ennemi. Quand elle avait 7 ans elle l'a bouté. Il lui a brûlé la peau des mains. Le feu c'est aussi celui des bûchers. Bûcher de sorcière. Bûcher sur le Gange à Varanasi.
— Dans les décombres du bâtiment on a trouvé deux corps. Fascination de la mort à Varanasi ou les indiens font leur ultime voyage. Les ghats au bord du fleuve sont le lieu des bûchers. Ce Gange où l'on se plonge pour se purifier où les parents de Nadège se sont baigné les pieds vingt-sept ans auparavant. Voyage initiatique tout confort après le bain de pied, bain parfumé à l'hôtel 4 étoiles et ils ont fait l'amour dans les draps de satin. Le folklore familial indique que Nadège a été conçue suite à cette étreinte. En tout cas madame Anne Redon née Achar est revenue enceinte de son voyage et deux cent soixante dix jours après le bain de pieds dans le Gange à Bénarès, purification et sanies, Nadège est née. Petite poupée rouge qui hurle en découvrant le monde de vert et de blanc de la polyclinique Sainte-Eulalie de Quiberon, fief de la famille Redon, Patrons pêcheur et verriers d'art. Les héritiers Redon – son père et son oncle – ont consolidé l'assise familiale en se diversifiant dans la conserverie, poissons en bocal et même terrines de porc – les porcs de Bretagne à 200 dans 200 mètres carrés chez les voisins, qu'on élève aussi dans la ferme de ses grands-parents maternels et qu'on égorge rituellement dans la cour.
— L'incendie a éclaté la nuit de samedi à dimanche. Ce samedi, exceptionnellement Nadège n'était pas sortie. Elle a passé la soirée seule à écouter en boucle le disque d'Ellen Ribaude qu'elle avait acheté dans l'après-midi. Dix-huit chansons dont les paroles étaient signées Ernest Lafigure.
— Ernest Lafigure et Gérard Levant ont été retrouvé dans le local incendié. Les premiers élément de l'enquête policière laissent entendre qu'il s'agit d'un double meurtre.
Un encart à l'article attire l'attention de Nadège : le journal consacrera un numéro spécial de son supplément livre à l'½uvre d'Ernest Lafigure mort assassiné à l'imprimerie Levant, à Nantua dans la nuit de samedi à dimanche.
Nadège veut savoir. Nadège veut agir. Les pages annonces du
journal l'appellent. Elle souhaite une annonce jeudi, jour du cahier
spécial
avec son numéro de téléphone. Le journal est à deux pas. La carte bleue
à la
main comme un sésame... il est plus facile de payer que de rédiger
l'annonce.
épuisée comme après un long effort, elle revient au grand-bi, commande
un
nouveau rhum, une première larme perle à sa paupière. D'autre suivent.
Tristesse et agacement d'avoir un maquillage à refaire.
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